-Nos périples-Asie Centrale

Un été en Asie centrale (de l’Ouzbékistan au désert du Mangystau)

Un été en Asie centrale (de l’Ouzbékistan au désert du Mangystau)

Période du 07 septembre au 03 octobre 2025...

Après Douchanbé et les hauteurs du Pamir, la route n’impose plus de grands défis, mais elle restera quand même éprouvante, ponctuée de trous et d’irrégularités, notre quotidien depuis plusieurs mois. Notre fourgon quitte peu à peu les montagnes du Tadjikistan pour se diriger vers l’Ouzbékistan, où nous rêvions de découvrir ses villes légendaires, véritables joyaux de la Route de la Soie, jadis points de passage essentiels qui ont fait leur renommée auprès des marchands et des voyageurs.

Mais le voyage n’est jamais une ligne droite. À notre arrivée en juin, nous espérions que la frontière vers le nord de l’Ouzbékistan pourrait rouvrir début septembre. Malheureusement, la chance n’était pas de notre côté, et elle est restée fermée, nous obligeant encore une fois à adapter notre itinéraire. Ce détour, moins ardu que celui du Tibet, nous a néanmoins fait traverser de vastes steppes kazakhes et parcourir d’innombrables kilomètres de désert avant de rejoindre le Manguistau, transformant cette étape en une partie à part entière du voyage.

Dans ce troisième volet de « Un été en Asie centrale », on vous emmène à travers ces paysages de pierre et d’azur, de poussière et de lumière. Un dernier souffle d’aventure avant le retour, un moment d’immensité pour conclure ce voyage qui est, plus qu’un itinéraire, une manière de voir le monde.

11. Samarcande, lumière et légende d'Orient.

Même si nous avions déjà visité l’Iran à deux reprises, nous espérions y retourner, mais cette fois dans le nord du pays. La crise géopolitique nous en a malheureusement empêchés, et Samarcande s’est alors imposée comme une belle compensation. Nous avons passé près de quatre jours dans cette ville emblématique, véritable carrefour de cultures et de civilisations, où se trouvent de nombreux monuments remarquables, chacun racontant sa propre histoire.

Nous avons arpenté les places et les avenues, admirant mausolées, mosquées et madrasas aux mosaïques étincelantes, où le bleu profond du ciel, baigné le soleil, mettait encore plus en valeur les couleurs et la beauté des ornements.

Le soir, à partir de 20 h, le Registan s’illumine pour un spectacle de son et lumière qui métamorphose la place : les façades se colorent, les motifs s’animent, l’ensemble devient presque irréel. Durant notre séjour à Samarcande, la tentation de tout photographier était constante, tant la beauté des lieux nous captivait. Après les étendues arides et silencieuses du désert, cette profusion de vie et de couleurs fut un véritable enchantement.

Pour notre plus grand plaisir, nous avons aussi pu revoir Daniel, un voyageur rencontré en Géorgie il y a plus de deux ans. C’était déjà la sixième fois que nos routes se croisaient, et chaque rencontre garde ce même plaisir simple, celui de partager un bout de chemin avec des compagnons de voyage.

Thierry, un autre ami sur la route, m’a offert « Samarcande » d’Amin Maalouf — un livre que je recommande à mon tour. Il ne parle pas directement de la ville, mais de l’Iran et de toute cette région à travers l’histoire.

L’Observatoire du XVe siècle, témoin des grandes avancées scientifiques de l’époque, nous rappelle combien ces savoirs ont rayonné dans le monde. Lire ce roman en découvrant ces monuments, c’est rêver à ce qu’ils ont vécu et accompli.

Même avec nos moyens modernes, créer, il y a des siècles, un calendrier presque exact à la seconde reste fascinant.

12. Boukhara, l’art de se laisser surprendre.

J’ai finalement réussi à convaincre Petra de faire le détour par Boukhara, mais cela s’est avéré plus long que prévu… Même s’il n’y avait que 200 km, il nous a fallu plus de cinq heures, car la route était en mauvais état. Et pour pimenter le trajet, notre première crevaison est arrivée… accompagnée d’un policier local, visiblement persuadé qu’il était l’assistant officiel de notre aventure. Pendant que je démontais la roue, il gesticulait, prenait des selfies et exigeait qu’on le photographie en pleine action, comme si c’était lui le héros du sauvetage. Résultat : j’ai transpiré à réparer la crevaison pendant que lui collectionnait les photos pour son album personnel. Une aide très… décorative, mais on en rit encore.

Arrivés à Boukhara, toutes les places de parking prévues étaient bloquées et, avec la chaleur écrasante, dormir dans le van n’était pas envisageable. Une petite guesthouse s’imposait donc.

Il était temps maintenant d’explorer la ville. Au début, celle-ci nous a un peu déconcertés. Tout semblait trop neuf, trop parfait, refait pour le tourisme et le commerce. Contrairement à ce que nous avions connu en Iran, où l’authenticité et la vie quotidienne donnent un charme unique aux monuments, ici tout paraissait figé, presque artificiel.

Pourtant, il faut reconnaître que les bâtiments sont magnifiques, d’une élégance et d’une harmonie impressionnantes.

Mais peu à peu, nous avons appris à découvrir la ville autrement. Le hasard a voulu que nous tombions sur l’« Art Festival Biennal », et pour l’occasion certains bâtiments habituellement fermés, comme le grand caravansérail et une madrasa, ouvraient leurs portes au public. Ce fut une révélation : visiter ces lieux dans ce contexte nous a permis de voir la ville sous un autre angle, avec un œil neuf, et d’apprécier l’architecture et l’ambiance d’une manière plus intime et vivante. L’art contemporain, mêlé aux cours et aux salles historiques, offrait un dialogue inattendu entre passé et présent. Entre un repas sur le marché, une robe essayée et une promenade au hasard des ruelles, Boukhara s’est doucement laissée apprivoiser. Fatigués mais inspirés, nous sommes rentrés quelques heures plus tard à notre guesthouse, heureux d’avoir pu voir la ville autrement.

13. Kazakhstan, détours et horizons sans fin

De retour à Samarcande après Boukhara, nous faisons une halte à Konigil pour découvrir la fabrique de papier des frères Mukhtarov. Ces villes étaient jadis des centres majeurs de production de papier, exporté dans toute la Perse pour sa qualité exceptionnelle. On y suit toutes les étapes de fabrication à partir des écorces de mûrier, un savoir-faire encore vivant aujourd’hui, qui nous a profondément captivés.

Comme je vous l’évoquais, il faut parfois adapter sa route : notre grande étape de conduite commence par un détour de plus de 2 000 km. Aller vers le nord aurait été plus simple, mais ce n’était pas possible… Le premier arrêt se fait à Turkestan, ville moderne et bien arrangée, mais un peu trop lisse à notre goût. Nous flânons dans le bazar, dégustons le classique « Plov » et visitons mausolées et bains publics.

C’est ici que nos amis autrichiens nous rejoignent. Voyager avec eux est devenu un rythme naturel, simple et agréable.

Notre cortège reformé, nous passons devant le Cosmodrome de Baïkonour, le plus grand port spatial. La navette est déjà partie : certains spectacles ne nous attendent pas toujours.

Les routes kazakhes s’étirent à l’infini, perdues dans l’immensité de la steppe. Chaque kilomètre semble se prolonger sans fin et rien ne peut venir rompre cette monotonie.

Depuis Aralsk, petite ville au bord du lac Aral, nous prenons un raccourci de 600 km à travers la steppe. Pas de route, seulement des pistes poussiéreuses et des parties style « tôle ondulée », la bête noire de tout conducteur : sans ce passage, il faudrait remonter bien plus au nord et parcourir près de 1 400 km.

La contrepartie : deux jours en mode « Power-Plate »… vibration non-stop.

La steppe s’étire à perte de vue, habitée par une vie animale discrète mais tenace dans ce milieu aride, les gerboises creusant inlassablement leurs galeries dans le sable.

Puis, au milieu de cette monotonie, un bout du lac Aral apparaît, calme et salé, rappel poignant de ce qui fut le quatrième plus grand lac intérieur du monde.

14. Manguistau, entre poussière et merveilles

Comme si le premier raccourci ne nous avait pas suffi — ou peut-être simplement pour flatter mon ego d’aventurier — je propose un deuxième shortcut : 130km tout droit à travers le désert.

Sur la carte, un trait parfait. Sur le terrain, une punition géologique.

La suite ? Des pistes parallèles, croisées, effacées : un véritable labyrinthe de traces dessinées par des rêveurs, ou par des conducteurs persuadés de réinventer la route.

Au bout d’un moment, plus de trace d’Harry dans le rétro. Le sable avale tout. La poussière est si dense qu’on pourrait y perdre un convoi entier — ce qui, d’ailleurs, arrive. Quand nous le retrouvons, après une bonne demi-heure, une Jeep providentielle l’a déjà sorti du piège. Le conducteur ne comprend pas pourquoi nous continuons dans cette direction alors que la bonne route pour le Manguistau se trouve de l’autre côté. Un moment comique s’installe entre Harry et lui, chacun voulant avoir raison sur la bonne direction à prendre.

Avec nos allers-retours, nous passons trois fois devant la même patrouille militaire. La première fois, un simple salut. La deuxième, un froncement de sourcils : ils nous laissent filer, un peu dubitatifs. La troisième, nous avons clairement perdu toute crédibilité. Contrôle obligatoire, certes, mais à leurs yeux, on a sans doute aussi perdu le nord.

Heureusement, un peu plus loin, un bon prétexte à la fête : le van d’Harry et Anita vient de franchir les 400 000 km. Bières ouvertes, poussière en garniture, même la célébration a un petit goût de sable.

Nous atteignons enfin la mosquée souterraine, épuisés, recouverts d’une pellicule beige uniforme. Deux heures de ménage express avant de pouvoir respirer à nouveau.

Le van, fraîchement nettoyé – un terme un peu ambitieux vu ce qu’on a réellement réussi à faire – nous offre tout de même un semblant de propreté sur le parking de la mosquée. On s’endort en rêvant encore de cette poussière, invitée indésirable et obstinée, qui refuse de quitter la scène en laissant sa signature personnelle sur chaque recoin de notre véhicule.

Et pour conclure ? Disons-le franchement : après cette expédition, Harry ne veut plus jamais entendre parler de mes shortcuts. Et franchement… il a raison. La poussière, elle, me fait encore confiance… et continuera de hanter le van pendant des mois.

Le lendemain, après une courte visite à la mosquée souterraine, moins impressionnante que prévu, nous atteignons enfin le véritable point culminant de notre fastidieux détour. Les diverses couches rocheuses et les gigantesques gorges de Bozzhyra nous offrent enfin un écrin de quiétude tant attendu. Entourés de ceux qui, au fil des jours, sont devenus bien plus que de simples amis, nous savourons chaque instant de cette dernière journée, portée par la beauté émouvante du décor.

Nous installons nos fourgons en haut des barres rocheuses, face à ce décor digne d’un film. Une soirée exceptionnelle, où nous nous remémorons notre aventure depuis notre rencontre au Tibet, revenant sur chaque petit détail tel de véritables metteurs en scène. Un clap final qui n’en méritait pas moins.

C’est le moment de se séparer. Ces adieux sont empreints d’émotion, mais ils ne sont que temporaires : un rendez-vous est déjà pris en Autriche pour le printemps prochain. Nous empruntons la route principale, laissant derrière nous les pistes poussiéreuses, et traversons les vastes champs pétroliers du Manguistau avant d’atteindre le lac salé. Une dernière halte pour profiter de la beauté de la région, si rapidement traversée.

Ces quatre mois passés en Asie centrale ont été une véritable immersion : paysages grandioses, routes parfois improbables, rencontres inoubliables et une richesse culturelle à chaque étape. Du Kazakhstan et du Kirghizistan aux pistes du Pamir, puis au cœur de l’Ouzbékistan et du Manguistau, chaque moment a forgé cette aventure unique.

Traverser la Russie n’était plus seulement un passage administratif. Ce fut aussi une transition, à la fois physique et symbolique. Nous quittions peu à peu l’Asie centrale pour retrouver l’Europe, emportant avec nous la mémoire de ces terres fascinantes

Share this post

2 comments

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *